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Le gouet, kidnappeur de moucherons

Habitant mystérieux des bois et des clairières, le gouet ou arum tacheté (Arum maculatum) est toxique dans toutes ses parties. On l'utilise en homéopathie pour soigner les bronches et la gorge.


Bizarrerie de la nature! S’il est une plante étrange, c’est bien le gouet. Cette Aracée, qui fait partie de la famille de la lentille d’eau, présente une architecture végétale complètement futuriste. Elle pousse dans les sous-bois, les haies et les forêts humides de feuillus. De sa racine tubéreuse sortent au printemps des feuilles luisantes et vert foncé, parfois tachetées. Au premier abord, on pourrait penser à des épinards, mais avec une forme plus pointue, en fer de flèche.


Il ne faut pas attendre longtemps pour assister à l’apparition d’une structure étonnante: une sorte de cornet enroulé sur lui-même qui se termine en pointe. Cette grande bractée (on appelle ainsi la partie végétale qui recouvre le bouton avant son éclosion) est souvent blanchâtre ou vert glauque. Elle cache l’inflorescence de la plante, qui est organisée en plusieurs étages.


Surnom suggestif

Le fin «bâton» qui trône au cœur de cette édifice finit par apparaître à l’air libre lorsque l’enveloppe s’ouvre. Il se termine en massue brun violacé... La connotation sexuelle de cette curieuse hampe, appelée spadice, est évidente, si bien qu’on a jadis qualifié l’arum de «vit de prêtre» (pénis de prêtre), l’image faisait référence à l’abstinence des hommes d’église, dont on pensait qu’elle influençait la taille de leur organe sexuel.


En allemand, le spadice a donné son nom à la plante, Aronstab, littéralement le bâton d’Aaron. Archétype du bâton des rois, il présente la forme de base du sceptre, symbole du pouvoir et de la royauté. Quant à Aaron, personnage biblique, il était le frère de Moïse.


Un preneur d'otages

Mais à quoi peut bien servir pareille construction végétale? Le «pied-de-veau» – sa feuille rappelle par sa forme la trace que les bovidés laissent sur le sol – est un kidnappeur en série. Quand ses fleurs sont mûres, l’arum se met à fermenter et à dégager de la chaleur. La température à l’intérieur du cornet peut grimper jusqu’à 14 degrés au-dessus de la température ambiante. La plante diffuse alors une odeur nauséabonde de viande avariée, qui attire les moucherons. C’est l’heure de la prise d’otage: les bestioles descendent dans le tube, où elles se retrouvent piégées par les cils des fleurs stériles. Impossible de remonter! Plus les insectes se débattent, mieux le pollen qu’ils transportent se dépose sur les fleurs femelles... Mais l’arum est beau joueur: en échange de ce précieux service, il offre aux mouches pollinisatrices des sucs nutritifs. Une sorte d’apéro qui leur permettra de patienter avant de pouvoir ressortir de ce piège végétal et d’aller féconder un autre arum. C’est alors que les fleurs stériles, situées en haut de l’appareil et qui jouaient les gardiens de prison, se fanent et libèrent les insectes de leur piège.


A l’automne, la plante poursuit son show exubérant. Débarrassée de son encombrante enveloppe et de la partie supérieure du spadice, le gouet se pare de baies luisantes, qui passent du vert au rouge vif. Serrés les unes contre les autres autour de la tige, elles sont aussi appétissantes qu’une sucette. Mais gare: plus d’un enfant a été intoxiqué par ces fruits au goût douçâtre. Car l’«arum tacheté» est hautement vénéneux, surtout à l’état frais. Un poison que nos ancêtres avaient appris à dompter: ils faisaient cuire les feuilles de gouet et les avalaient tout rond, sans les mâcher, afin d’éviter de «brûler» leurs muqueuses. Cette opération faisait, paraît-il, un excellent nettoyage de printemps… qui est aujourd’hui vivement déconseillée.


En homéopathie

Au moins ces dangereuses expérimentations ont-elles le mérite d’avoir permis de mettre au point des remèdes. En l’occurrence, le fameux «rien n’est poison, tout est poison, seul le dosage importe» du savant Paracelse prend tout son sens. Mais à cause de sa toxicité, le gouet est aujourd’hui employé exclusivement sous formes homéopathique et spagyrique. Les granules homéopathiques agissent sur le système nerveux, sur l’arrière-gorge, ainsi que sur les voies respiratoires, tandis que la préparation spagyrique sera efficace lors d’affections cutanées, des muqueuses et des voies respiratoires, ainsi que sur le tube digestif.


Au Moyen Age, le gouet était associé à la magie blanche. On disait qu’il était capable de faire fuir les mauvais esprits, qui s’éloignaient ainsi des berceaux. En même temps, il était considéré par certains comme un attribut de la malice du démon. On racontait aux enfants que sous l’«herbe aux serpents» se cachait un reptile, prêt à bondir. Une manière d’effrayer les petits, mais surtout de les garder à bonne distance de la plante et de ses baies rouges toxiques!

 

Utilisation

Homéopathie. En cas de bronchite, d’inflammation du larynx, de catarrhes, de pertes de mémoire et de sommeil perturbé.

Spagyrie. En cas d’infection des amygdales, de la gorge et de l’arrière-gorge, en cas d’expectorations sanguinolentes et de toux spastique, de crampes d’estomac, de vomissements avec étranglement, d’érythèmes et d’eczéma vésicatoire (qui provoque des cloques sur la peau).

 

L’anecdote de Claude

«Ô gouet, mon beau gouet…»

«Les récoltes seront-elles bonnes cette année? Pour connaître la réponse, les paysans avaient autrefois pour habitude d’aller consulter le gouet. Au printemps, ils cueillaient un calice et effeuillaient l’enveloppe protectrice jusqu’à voir apparaître – au pied du spadice violet – l’inflorescence de la plante. Cette partie est composée des organes de reproduction, qui sont au nombre de trois: tout en bas, l’organe femelle, qui fournit fruits et graines; au milieu, l’organe mâle, chargé du pollen; et en dessus, l’organe végétatif, muni de poils qui servent à maintenir les pollinisateurs dans le fond du cornet. Pour les agriculteurs, chaque étage correspond à un type de culture. L’organe femelle représente les pommes-de-terre, l’organe mâle les blés et l’organe végétatif, les foins et autres regains. En fonction de la taille plus ou moins développée de chaque partie, le producteur pouvait ainsi connaître à l’avance le rendement des cultures pour l’année en cours. De nos jours, cette vocation de «boule de cristal» du gouet est encore connue de certains adultes dont le grand-père était paysan.»


Ce texte est tiré du livre Les secrets du druide 2 - Sur les pas des maîtres à soigner deClaude Roggen, pp. 36-39, Editions du Bois Carré, Domdidier, 2018. En vente dans les drogueries Roggen et sur notre boutique en ligne shop.roggen.ch 


 >> A réécouter, LE MAG de Radio Fribourg du 5 mars 2024 avec Emanuel Roggen, droguiste diplômé - vers le podcast




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